Épisode #10 - "La langue de l’Europe, c’est la traduction”

Episode 10 March 07, 2025 00:10:24
Épisode #10 - "La langue de l’Europe, c’est la traduction”
Chroniques d'Ukraine
Épisode #10 - "La langue de l’Europe, c’est la traduction”

Mar 07 2025 | 00:10:24

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Show Notes

Crédits :

 

Macha Isakova, comédienne, productrice de la semaine de la dramaturgie ukrainienne au Théatre du soleil
Tatiana David Sirotchuk, fondatrice des éditions  Bleu et Jaune

Réalisation : Stéphanie Masson

Production : Octave Broussard

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Episode Transcript

[00:00:02] Speaker A: Cette guerre n'est pas une guerre de territoire. C'est une guerre pour l'existence de notre nation. Je me suis baignée dans le théâtre comme je l'aime. [00:00:15] Speaker B: La guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine violente nos équilibres. Toutes les relations européennes se redéfinissent. C'est un profond changement d'époque. Contre l'influence européenne, l'activisme russe utilise les armes de la déstabilisation et de la désinformation. [00:00:30] Speaker C: On perd tout le coup, disait la langue de l'Europe, c'est la traduction. [00:00:34] Speaker B: Face à la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine, la culture est une force de résistance. Et la traduction des œuvres, l'épine dorsale de l'identité ukrainienne. À travers leur travail, Masha Isakova, productrice de la Semaine de la Dramaturgie Ukrainienne au Théâtre du Soleil, à Paris, et Tatiana David Sirouchuk, fondatrice des éditions Bleu et Jaune, permettent chacune à leur manière le partage du riche patrimoine littéraire ukrainien, des œuvres classiques aux créations les plus récentes. La traduction des langues est un outil d'égalité d'échange, et c'est aussi par le métier de traduire, notamment les langues moins répandues, qu'il y a évolution de la fiction littéraire. au cœur d'un combat pour la liberté et l'existence même d'un peuple. Théâtre, littérature et poésie sont des voix inestimables qui luttent contre l'oubli. [00:01:30] Speaker A: Je m'appelle Masha Esakova, je suis ukrainienne, j'habite en France depuis 11 ans. Mais avant que la guerre commence, je ne faisais que jouer, j'étais comédienne. Et depuis qu'il y a la guerre, j'ai un petit peu transformé mon métier. J'ai créé ce festival de la dramaturgie ukrainienne que je produis et que je mets en scène. Professionnellement parlant, je me planifie beaucoup plus dans ces deux rôles de productrice et de metteur en scène que dans le rôle de comédienne. Mon pays me manque toujours et je l'aime de tout mon cœur, mais je ne sais pas, mais cette guerre qui était à l'aise depuis ces dix ans, elle était... un peu oubliée par moi-même. Et en 2022, quand ça a éclaté à grande échelle, je me suis dit que ça fait dix ans que je travaille en tant que comédienne et il faut que je transforme mon métier à quelque chose qui puisse être utile dans ce combat. Et puis, tout le monde disait qu'on doit tous agir. dans le milieu où nous sommes spécialistes. Enfin, je peux pas dire que je suis spécialiste ou pas, mais en tout cas, de tout ce que je sais faire, c'est ce que je sais faire de mieux, je pense. Et je me suis dit, il faut que, non seulement que j'aide à récolter de l'argent et d'envoyer des aides à mon pays, il faut que j'arrive à... avec mon métier, qui est un métier de parole, et la parole est très importante, qu'il faut que j'arrive à aider par ce... par ce biais-là aussi. Quelques jours avant le début de l'invasion, en 2022, Poutine a fait un discours en disant que l'Ukraine c'est un pays artificiel qui n'a jamais existé, que c'est Lénine qui l'a inventé. Bon, il manipule l'histoire de l'Ukraine depuis longtemps et il se l'approprie. Et moi je me suis dit, je sais porter la voix, je sais parler, il faut que je défends l'histoire, il faut que je commence par ça et j'ai écrit un texte sur l'histoire de l'Ukraine où j'explique les rapports historiques entre la Russie et l'Ukraine et qui était là le premier et à qui appartient cette histoire qui va très loin dans des siècles et c'est comme ça que j'ai commencé à agir au début Et après, j'ai présenté ce texte plusieurs fois dans différents théâtres, et il y avait une femme absolument extraordinaire qui s'appelle Olga Saraydak, qui est venue me voir et m'a dit, il y a des textes qui ont été écrits par rapport à la guerre, je te les envoie, si tu les lis, peut-être que tu voudras en faire quelque chose. Et quand j'ai lu les textes, j'ai compris ce que je devais faire. Et ces textes, en fait, ils racontaient l'actualité. Et je me suis dit, mais on a tellement d'auteurs en Ukraine qui n'ont jamais traversé les frontières et qui n'ont pas pu avoir la lumière qu'ils devaient avoir. Et je me suis dit, mais en fait, ce que je devois faire, c'est de faire sortir ces écrivains de l'ombre. Je pense que la traduction, c'est une clé de rapprochement des cultures. On se découvre beaucoup plus quand on peut découvrir la littérature d'un pays, d'une nation. En Ukraine, les experts que moi j'écoute, par exemple les journalistes, les philosophes, ils disent qu'on a très peu de traduction. Personne ne nous connaît en vrai. Tout le monde sait que nous sommes en guerre, mais personne ne nous connaît parce que personne n'a lu nos auteurs. Et grâce aux traductions, à des bonnes traductions, on arrive à se rapprocher plus avec d'autres peuples. Et le traducteur, c'est en quelque sorte... Il devient l'auteur aussi, en quelque sorte. [00:05:34] Speaker B: Et maintenant, on va téléphoner à Tatiana David-Sieruchuk, fondatrice et présidente des éditions Bleu et Jaune, pour comprendre son travail d'éditrice qui met en lumière la littérature ukrainienne et européenne contemporaine. Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi c'est si important de traduire des langues rares au niveau européen ? [00:05:55] Speaker C: Tout simplement parce que moi je suis intimement persuadée que ces langues dites rares ou ces langues de moindre diffusion produisent de grandes œuvres littéraires qui sont encore inconnues en France et qui méritent vraiment d'être connues des lecteurs et des lectrices français et francophones. [00:06:15] Speaker B: Est-ce que vous pouvez nous parler du métier de traduction ? Ça, c'est un autre engagement important. Aujourd'hui, il y a des moteurs d'écriture issus du numérique qui traduisent mal, souvent, les langues. En tout cas, pas du tout de la même façon qu'un traducteur ou une traductrice le feraient. Qu'est-ce que c'est une traduction littéraire, humaine ? Quelle est la valeur ajoutée ? [00:06:35] Speaker C: Ecoutez, Humberto Eco disait que la langue de l'Europe, c'est la traduction. Et si cette langue existe, c'est justement grâce aux traducteurs et traductrices. Donc nous, nous travaillons avec des traducteurs chevronnés, mais aussi avec des traducteurs jeunes qui ont beaucoup de talent et qui démarrent dans le métier. Et pour nous, c'est très important de les soutenir. Et ce que nous cherchons, nous cherchons justement à valoriser ce travail de traduction. Justement, quand on voit partout l'intelligence artificielle et tous ces métiers de création sont mis en danger par cette intelligence artificielle, nous, de notre côté, on cherche à mettre en avant le travail des traducteurs. Par exemple, pour valoriser ce travail, dans chaque livre de notre collection Fiction Europe, il y a une présentation des traducteurs, de la traductrice ou du traducteur et de son parcours. Ensuite, Nous mettons les noms des traducteurs sur la première découverture. C'est une chose qui n'est pas encore très répandue et nous communiquons aussi autant autour des auteurs et des autrices que des traducteurs et traductrices. C'est aussi ça notre engagement pour mettre en avance ce travail de traduction. [00:07:54] Speaker B: Alors une question plus spécifique sur la littérature et la valeur de la littérature dans un pays en guerre comme l'Ukraine, dans une situation pareille. Pourquoi c'est si important de traduire des livres, d'avoir de la littérature, des gens qui écrivent aujourd'hui ? [00:08:11] Speaker C: Mais écoutez, je pense que tant que la littérature existe, la nation existe, tant que la littérature est vivante, la nation existe aussi, la nation est aussi vivante. Et donc en ce qui concerne l'Ukraine, la Russie a bien compris cette chose. La Russie d'autrefois, comme celle d'aujourd'hui, Tout simplement parce qu'il y a eu un long moment de persécution à l'égard de la langue et de la littérature ukrainienne de la part de la Russie. Et je pense que la littérature, c'est une arme aussi. Et par exemple, pas plus tard qu'hier, nous avons publié un deuxième livre d'Artem Chapaï C'est un auteur ukrainien qui est aujourd'hui dans l'armée ukrainienne. Cela veut dire que les auteurs et les autrices ukrainiennes ne se battent pas seulement avec leurs plumes, mais aussi avec de vraies armes. L'engagement est très fort de leur part, de la part de ces auteurs et de ces autrices ukrainiennes et nous, de notre côté, nous essayons de les soutenir parce que notre démarche n'est pas seulement éditoriale, elle est aussi humaine. [00:09:32] Speaker A: Revenir du front et mettre, je ne sais pas si c'est tout de suite ou pas, mais mettre le vécu qu'on a pu avoir là-bas sur scène, c'est une forme d'exutoire. Après moi, je pense que la création complexe nécessite le temps. Je pense que ça nécessite beaucoup de temps et beaucoup de réflexion parce que je pense qu'on aura beaucoup plus un texte intéressant après la guerre, avec le temps de digestion et de recul.

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